Postes Canada a dévoilé quatre nouveaux timbres qui suscitent sensibilisation et réflexion sur l’histoire tragique des pensionnats autochtones et le besoin de guérison et de réconciliation.
Ces timbres seront émis le 29 septembre, la veille de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, et constituent le premier volet d’une série annuelle mettant en vedette des œuvres représentant la vision d’artistes inuit, métis et des Premières Nations quant à l’avenir de la vérité et la réconciliation.
Des années 1830 à 1990, plus de 150 000 enfants inuit, métis et de Premières Nations ont été arrachés des bras de leur famille pour être envoyés dans des pensionnats autochtones créés par le gouvernement fédéral et dirigés par le clergé. Des milliers d’entre eux n’en sont jamais revenus. Dans ces établissements aux conditions non sécuritaires et propices à la maladie, on leur interdisait de parler leur langue maternelle. En plus d’être dépouillés de leur culture et de leurs traditions spirituelles et d’être assimilés de force dans la culture blanche, ces enfants ont subi des sévices physiques, sexuels et émotionnels, dont les traumatismes se font encore sentir chez les survivants et leur descendance.
Cette émission de quatre timbres invite les membres de la population à réfléchir, à assumer leurs responsabilités en ce qui a trait à la réconciliation et à reconnaître les injustices et les traumatismes vécus par des générations de Premières Nations, d’Inuit et de Métis. Les timbres sont oblitérés à Brantford, en Ontario, là où était situé le Mohawk Institute, dont l’ouverture au début des années 1830 en a fait le premier pensionnat autochtone du Canada. Par ailleurs, les timbres comportent des mots dans les langues traditionnelles et les dialectes régionaux des artistes qui ont créé les illustrations.
Jackie Traverse, artiste des Premières Nations (Lake St. Martin, Manitoba) – Anishinaabe, Ojibwée
Cette illustration représente l’espoir du changement. On peut y voir un homme et une femme, avec leurs aînés, leurs enfants et leurs petits-enfants. Au centre, le quatre-temps, notre fleur nationale non officielle, avec ses racines qui plongent vers le passé. Elle représente le Canada. L’image nous rappelle que pour que nous puissions tous profiter de récoltes abondantes aujourd’hui et demain, nous devons partager le soleil, l’eau et la terre.
Jackie Traverse, artiste multidisciplinaire, grandit dans un des quartiers les plus durs de Winnipeg. Sa jeunesse est empreinte de tragédies : sa mère meurt très jeune, et ses frères et sœurs sont enlevés durant la rafle des années 1960. L’artiste utilise le multimédia, la peinture acrylique et à l’huile, le dessin, l’animation image par image, le documentaire et la sculpture pour créer des œuvres dont elle puise l’inspiration dans sa culture et sa réalité de femme autochtone vivant à Winnipeg.
« Au moment où j’illustrais le timbre, on avait déjà découvert les dépouilles des enfants de Kamloops. En tant que mère et grand-mère, cet événement m’a beaucoup marquée. Je pensais à mes propres enfants, et à mon enfance, que j’ai vécu en famille d’accueil, en me disant que j’aurais facilement pu être l’une de ces victimes, se désole Madame Traverse. J’ai la chance de pouvoir m’exprimer à travers mes œuvres, et d’illustrer différents points de vue. Cette image représente donc le passé, nos histoires et la chance de fleurir et d’aspirer à un monde meilleur. »
Gayle Uyagaqi Kabloona, artiste inuk – Qamani‘tuaq (Baker Lake, Nunavut)
Je crois que chaque groupe au Canada a une responsabilité différente en ce qui a trait à la réconciliation. En tant que peuples autochtones, nous avons une responsabilité envers nous-mêmes et les gens de nos communautés : apprendre ou enseigner nos langues et nos cultures qui ont été attaquées il n’y a de cela qu’une génération. J’ai créé l’image d’une femme qui allume une kudlik [ou qulliq], la lampe de pierre traditionnelle inuit servant à se réchauffer et à s’éclairer, ici symbole de compassion. Cette femme vit selon sa culture comme elle l’a toujours fait, guérissant et prenant soin d’elle-même et des autres.
Originaire de Baker Lake, au Nunavut et vivant maintenant à Ottawa, Gayle Uyagaqi Kabloona est issue d’une famille d’artistes inuit renommés. L’art lui permet de faire briller son patrimoine inuit, de nouer des liens avec les autres en faisant rayonner sa culture et d’exprimer son identité autochtone. Elle aime moderniser un visuel traditionnellement inuit, et les vedettes de ses œuvres sont souvent des femmes fortes. Elle a fondé un atelier de céramique avec un petit groupe de personnes et enseigne l’art comme thérapie dans un centre de guérison pour les Inuit aux prises avec un problème de dépendance situé à Ottawa. L’an dernier, l’artiste a obtenu une résidence à l’Art Gallery of Guelph, en collaboration avec un conservateur inuit, et a produit une nouvelle création qui sera présentée aux côtés des œuvres de sa grand-mère et de son arrière-grand-mère.
« J’ai voulu créer une œuvre qui ne s’inspirait en rien de l’influence externe des colons canadiens et de l’état colonisateur. Une œuvre qui s’appuie sur la force et la continuité de la culture inuit, explique-t-elle. Personnellement, pour que la réconciliation puisse être entamée, j’aimerais avoir des conversations avec des personnes non autochtones et les faire parler de notre histoire. Je veux qu’ils aient une idée de ce que représente ma culture, de ce qu’a été ma vie et de l’inégalité que vivent les Autochtones au pays. »
Kim Gullion Stewart, artiste métisse – Athabasca, Alberta (elle vit actuellement à Pinantan Lake, en Colombie-Britannique)
Dans l’art métis, les fleurs rappellent la nécessité de vivre en symbiose avec la terre, les cours d’eau, les écosystèmes et les uns avec les autres. Sur ce motif, j’ai placé des fleurs perlées sur le tracé des montagnes Rocheuses, les lignes sinueuses qui représentent les rivières et les pointillés qui délimitent les territoires politiques. Bien que les cartes comme celle-ci constituent une archive bidimensionnelle de lieux et de processus historiques, elles sont incomplètes jusqu’à ce qu’elles intègrent des éléments importants pour les peuples indigènes du continent.
Kim Gullion Stewart est née à Athabasca, en Alberta. Les racines de son père la relient à la patrie métisse de la rivière Rouge, au Manitoba. Elle crée des significations métaphoriques en reliant des procédés artistiques métis (tannage des peaux, perlage, courtepointe) à des procédés artistiques contemporains et graphiques. Sa démarche artistique la pousse à puiser dans les profondeurs de son identité métisse et à réapprendre des systèmes de connaissances métis qui ont été cachés, perdus ou adaptés aux fins de survie. « Les miens dormiront pendant 100 ans, et quand ils se réveilleront, ce seront les artistes qui leur rendront leur esprit. » Cette citation de Louis Riel (1844-1885) est une grande source d’inspiration pour Kim Gullion Stewart.
« Je suis consciente que l’art est une porte d’entrée. C’est souvent un moyen que les gens utilisent pour entamer des discussions, pour parler de ce qui est difficile, de ce qui nous rend heureux, et aussi des solutions qui pourraient nous offrir un avenir meilleur », explique-t-elle.
« Tout le monde doit affronter la vérité et prendre part à la réconciliation pour que nous puissions redevenir une communauté. Fini la notion d’eux et de nous, il faut évoluer ensemble. »
Blair Thomson, artiste et graphiste
L’illustration présente des mains superposées à un visage humain. Ces mains représentent deux points de vue : celui des peuples autochtones, qui couvrent leur visage de tristesse, de douleur et de souvenirs, et celui des colons, qui masquent la réalité et leur honte. Des larmes coulent entre les doigts. L’arrière-plan rappelle les fenêtres des pensionnats à travers lesquelles les enfants regardaient en rêvant de retourner chez eux. Les yeux derrière les mains réitèrent que les colons ne doivent plus jamais détourner le regard.
Blair Thomson est le fondateur et le directeur de création de Believe in, une agence de conception dont les ateliers se situent au Canada et au Royaume-Uni. La démarche artistique de Monsieur Thomson cherche à harmoniser fondements stratégiques, idées uniques et résultats magnifiques. Maintes fois primées, ses œuvres ont également été publiées dans de nombreuses publications de conception de renom partout sur la planète. Il est le collectionneur, l’archiviste et l’historien responsable de Canada Moderne, une archive du graphisme canadien moderne de 1960 à 1985.
« Lorsqu’il est question de réconciliation, la population doit joindre le geste à la parole. Il faut sortir de notre zone de confort pour prendre collectivement conscience de notre histoire sombre et douloureuse. Nous devons en tirer des leçons difficiles et prendre le temps de réfléchir pour cheminer vers la guérison et la réconciliation sans oublier notre passé, explique-t-il. Ainsi, même un élément aussi omniprésent qu’un timbre pourrait signifier le début d’un parcours vers l’avenir dont nous rêvons. »
Timbres illustrant les visions d’artistes autochtones sur la vérité et la réconciliation
En vente maintenant