Des « petits bonhommes » dans la marge de ses cahiers scolaires aux plus grandes personnalités locales et internationales, Serge Chapleau est passé de la plume à l’écran tactile au cours d’une carrière d’un demi-siècle. Reconnu comme le plus célèbre dessinateur de presse québécois, il fronce pourtant les sourcils quand on lui demande de parler du rôle de caricaturiste.
« Je pense qu’il n’y a pas de titre de caricaturiste. D’ailleurs pour moi le mot caricaturiste n’existe pas. Ce n’est pas un métier, c’est une erreur de parcours! »
Au tournant des années 1950 chez les Chapleau, rue Drolet à Montréal, personne ne joue au hockey en imitant les exploits de Maurice Richard. Au sein de cette famille modeste de la classe ouvrière, aucun livre dans la maison, que du papier et des crayons. Cadet de sept garçons, le jeune Serge trace ainsi sa voie au plomb HB jusqu’à l’École des Beaux-arts de Montréal, un établissement qui lui « a sauvé la vie ». Pas très doué pour la peinture ou la sculpture, Chapleau se passionne pour autre chose.
« Mes grands modèles viennent de la bande dessinée. C’était la grande époque des magazines comme Pilote ou Fluide Glacial. On était des hippies, on était pauvres, alors on achetait le magazine plutôt qu’acheter du riz pour manger et on adorait ça! »
Depuis ses débuts en 1972 dans le magazine Perspectives, Chapleau a immortalisé au crayon plus de 400 artistes, sa spécialité. Après de nombreuses collaborations remarquées, notamment dans le journal Le Devoir et les magazines L’actualité ou 7 jours, Chapleau s’attaque en 1996 à l’actualité du jour en devenant le caricaturiste attitré du quotidien La Presse. Toujours en poste aujourd’hui, il est un incontestable pilier du journal.
Au fil du temps, ce sont plus de 7 000 dessins qui ont fait rire le public et parfois trembler ses victimes, parmi lesquelles de nombreux politiciens qui sont passés sous sa plume incisive. Des personnalités publiques qu’il croise ici et là, mais avec lesquelles il maintient toujours une nécessaire distance.
« Je n’ai pas intérêt à connaître ces gens-là, je les dessine. Tu les rencontres dans un restaurant, ils te serrent la main assez fort en voulant te casser les quatre doigts en disant “Félicitation pour votre beau travail”, mais c’est clair qu’ils n’aiment pas ça. »
« La caricature doit se pratiquer avec l’adresse du chirurgien et les intentions du boucher. » Cette phrase du caricaturiste anglais Ronald Searle (1920-2011) qu’il se plaît à citer épouse parfaitement la vision qu’a Chapleau de la profession. L’œuvre doit trouver un équilibre précaire sur une ligne très mince : un pas en avant et c’est la chute, un pas en arrière et le dessin est ennuyeux.
« On se trompe régulièrement en caricature. Par contre, on le fait avec humour. J’espère que, quand on se trompe “un peu” , bien le lendemain on passe à autre chose et les gens sont assez corrects pour oublier ce qu’on a fait la veille… à condition de faire quelque chose de bien le lendemain! »
Dans un texte (Un dessin dans la marge) au sujet du caricaturiste, son collègue, le chroniqueur Yves Boisvert, évoque la justesse de son regard unique sur la société qu’il dessine. « Certains matins, à la vue d’une de ses œuvres, je me demande si ce n’est pas plutôt tout le journal qui est en marge de sa caricature. »
Serge Chapleau, c’est aussi son célèbre personnage Gérard D. Laflaque, un quadragénaire rétrograde et vulgaire qui a sévi à la télévision durant 20 ans. Utilisant un caoutchouc souple novateur qu’il a lui-même créé, l’artiste veut sortir du dessin en créant des marionnettes qui, selon lui, capteront mieux l’attention du public.
Chapleau devient ainsi en 1982 le premier caricaturiste à donner vie à ses personnages au petit écran. Avec le temps, les conceptions graphiques remplacent les marionnettes et, entre 2004 et 2019, près de 500 épisodes des émissions Et Dieu créa…Laflaque puis ICI Laflaque sont diffusés sur les ondes de Radio-Canada.
Si Chapleau aime rire des artistes et décideurs politiques, il sait aussi traduire en images le sentiment populaire.
Son dessin sélectionné pour le timbre exprime le goût amer laissé chez de nombreux Québécois par le grand rassemblement organisé à Montréal, trois jours avant le vote référendaire de 1995 sur la souveraineté du Québec. Le 27 octobre 1995, quelque 150 000 Canadiens venus de partout au pays envahissent la métropole québécoise pour clamer leur amour de la Belle Province, un événement fortement critiqué par le camp souverainiste.
Récipiendaire de huit prix du Concours canadien de journalisme dans la catégorie Caricature, un record, Chapleau publie depuis 1993 L’année Chapleau, un recueil annuel de ses meilleurs dessins de presse. Lorsqu’il est reçu Membre de l’Ordre du Canada en 2015, on le présente comme « l’un des caricaturistes les plus innovateurs et respectés au pays », en précisant qu’il « a aussi fait figure de pionnier grâce à sa caricature animée ».
Chapleau se plaît à comparer le caricaturiste au fou du roi qui a constamment la tête sur le billot. Il croit toutefois que la caricature restera malgré les menaces et embûches.
« Il va toujours y avoir quelqu’un qui est prêt à faire de l’humour en dessins. Regardons le New York Times (édition internationale, ndlr), ils ont arrêté de publier des dessins de caricatures, mais d’autres journaux continuent. Je suis encore à La Presse avec mon âge vénérable à faire des petits bonshommes. »
Une nouvelle émission de timbres rend hommage à de talentueux caricaturistes de presse canadiens.
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