La constante du boucher

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La relation 1:1 est très tendance. Mais alors qu’elle peut sembler n’être qu’un autre gadget à ajouter à son coffre d’outils numériques, on doit se rappeler qu’il n’y a pas si longtemps, elle jouait un rôle essentiel dans la relation commerciale.


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Monsieur Claude, notre boucher familial, l’avait bien compris, lui.

Alors que les supermarchés tentaient de lui soutirer avidement des parts de marché, Claude ripostait avec son arme de séduction massive, la relation 1:1. Par elle, il avait conquis, sinon le cœur, l’estomac de notre mère. Et par ricochet, le nôtre. Chez nous, la viande, ça s’achetait chez Claude. Point final.

Ce que je retiens de cette sympathique relation commerciale, c’est qu’elle était avant tout bidirectionnelle. Inconditionnellement, elle reposait sur le respect, l’écoute, l’échange, l’authenticité, la complicité et fort souvent aussi, sur la recherche de la meilleure recette!

La constante du boucher égalisait l’équation 1:1 tout en la bonifiant.

Cinquante ans plus tard, munies de nouvelles technologies, toutes les marques s’efforcent de recréer numériquement cette relation. Car dans un contexte où les données tierces sont en voie d’extinction, la relation personnalisée est appelée à jouer un rôle de premier plan dans la ruée vers ce nouvel or qu’est la donnée primaire.

Malheureusement, beaucoup d’approches relationnelles numériques ont pour effet d’éloigner des marques les gens qu’elles courtisent, plutôt que de les rapprocher. Et la technologie n’est pas en cause. Il ne s’agit pas d’un problème d’outils, mais d’un problème d’orientation de la relation elle-même.

En se concentrant sur le mauvais 1 de la relation 1:1, en privilégiant la marque plutôt que le consommateur, on sclérose la relation avant même qu’elle en devienne une.

L’erreur est machinalement humaine

L’opposition humain-machine ne date pas d’hier. Pensez à Asimov et ses inquiétants robots. Mais 20 ans en marketing numérique m’ont appris que 99 fois sur 100, le problème vient des humains. Aussi intelligente soit-elle, l’intelligence artificielle n’est utile que si elle est bien paramétrée.

Dans sa quête d’une relation 1:1 numérique, l’« homo marketus » moderne s’est laissé aveugler par l’envoutant appel de phares de la technologie. Ébloui par ses fascinantes possibilités, il a confondu personnalisation et automatisation. Une erreur qui n’est pas sans conséquence.

Car alors que la personnalisation implique une adéquation, un contexte et un rapprochement, l’automatisation – en suscitant chez les responsables marketing un faux sentiment d’assurance et donc une possible désaffection – peut causer des frictions qui sont tout sauf engageantes.

Comme lorsqu’on se heurte au caractère intrusif d’un robot supposément conversationnel. Ou qu’on est poursuivi à travers le Web par un big box tenace, suite à une malencontreuse visite sur un site transactionnel.

Je ne critique pas ce type d’outils. Au contraire, le technophile en moi raffole de toutes ces innovations. Je m’interroge plutôt sur les motivations du responsable du marketing qui n’a manifestement pas testé leur pertinence, du point de vue de sa clientèle.

La force du numérique repose sur son incroyable capacité de créer, nourrir et amplifier l’engagement. Mais, désolé, sans pertinence, pas d’engagement possible. Ce n’est donc pas autant à l’automatisation de la relation qu’il faut s’atteler qu’à sa pertinence.

C’est cette pertinence que j’appelle la constante du boucher.


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Oui à une personnalisation pertinente

Oui, le courriel est plus populaire que jamais. 376,4 milliards en 2025; pas pour rien que 64 % des PME l’utilisent. Mais pendant ce temps, 26 % des courriels commerciaux rebondissent et 16 % ne se rendent même pas à la boite de réception, alors que 40 % des consommateurs avouent avoir au moins 50 courriels non lus qui dorment dans leur boite.

Sur le nombre total d’infolettres auxquelles vous êtes abonnées, combien sont à la fois personnalisées et utiles? Dans mon cas, malheureusement peu. Et trop souvent, ma seule interaction avec elles est pour m’en désabonner – si j’y arrive! – quand leur faible niveau d’utilité aura eu raison de ma légendaire « patience ».

Oui, la programmatique contrôle 72 % du trafic des bannières et son principe fondamental est alléchant : pouvoir suivre l’internaute plutôt que d’attendre qu’il se pointe sur notre site, quelle chouette idée! Mais ce qu’on gagne en fréquence accrue et en réduction des coûts média, on y perd souvent en contexte.

Oui, le marketing de relance est une bien précieuse chose. Mais sans paramétrage éclairé, sans une vision nette du parcours d’achat, sans une scénarisation séquencée des messages à afficher, ça peut tourner rapidement au harcèlement publicitaire.

Pas une fatigue numérique, une lassitude de l’impertinence

Mal pensée, la relation 1:1 numérique affiche ses travers au grand jour. Plus on tente de la personnaliser, vaguement, plus on met en évidence ses ratés. Plus on tente de copier les marques qui savent intégrer la pertinence à leurs tactiques 1:1, approximativement, plus l’écart entre elles et ceux qui tentent de suivre s’agrandit. Plus on tente de camoufler la vente sous « e-pression » en conversations cybernétiques quelconques, plus les consommateurs décrochent.

Et les chiffres semblent d’accord avec moi :

  • 63 % des gens sont prêts à laisser tomber les marques qui utilisent des tactiques de personnalisation médiocres.
  • 77,4 % trouvent exagérée la fréquence de diffusion d’une même publicité.
  • 25,8 % des gens bloquent les pubs numériques.
  • 78 % des membres du CMO Club déclarent inexcusable de voir des publicités poursuivre les personnes ayant déjà acheté le produit annoncé.
  • 74 % d’entre eux croient que ce type de mauvaises publicités minent la loyauté à la marque.

Les gens n’en ont pas contre la publicité numérique ni contre les messages personnalisés. Ils en ont contre l’impertinence des marques. Alors qu’ils ne demandent qu’à se faire conseiller, aider, rassurer, servir…

Vous ai-je parlé du boucher de maman?

Le défi de la relation 1:1 numérique – combiner marketing et humanité

Je parle de l’importance de « dévirtualiser » la relation numérique depuis une douzaine d’années. Les taux de clics, le nombre de fans et le taux d’engagement, tout ça, c’est bien. Ça fait de belles présentations PowerPoint. Mais une relation est bien plus que cela.

Peut-être est-il temps de s’ouvrir à ce monde du phygital que la COVID 19 nous a laissé entrevoir.

En plus de 2 ans de confinement, nous avons trouvé tout plein de stratagèmes pour nous rapprocher virtuellement de nos proches. C’est vrai, piquer une jasette avec le beau-frère sur Zoom est loin d’être aussi agréable que de le rencontrer en présentiel (quel horrible mot!). Mais ça aide. Poster une lettre manuscrite à une amie chère n’équivaut pas à siroter un petit verre de Chardonnay en son agréable compagnie, mais ça aide.

Intuitivement, nous avons su utiliser ces outils pour nous rapprocher de l’autre. Ils n’ont pas remplacé notre humanité, ils l’ont exaltée. Pourquoi ne pas s’en inspirer dans nos propres tactiques relationnelles?

Survolez les sites qui listent les principales qualités du vendeur modèle, vous y trouverez les mêmes conseils : écoutez, interagissez, créer de la valeur, adaptez-vous, offrez une expérience client constante.

C’est ce que fait tout bon vendeur. C’est ce que faisait le boucher Claude (qui était tout sauf bouché). Pourquoi ne le ferions-nous pas à notre tour?

Apprenons à utiliser la technologie, non pas comme une fin en soi, mais pour asperger généreusement nos communications 1:1 de « splouchs splouchs » d’humanité de marque. Ainsi :

  • Poster une invitation VIP au lancement d’une nouvelle collection est non seulement personnalisé, mais c’est très flatteur et fort humain;
  • Envoyer un courriel au nouveau client de sa poissonnerie pour lui partager quelques liens qui lui apprendront à cuisiner un poisson moins connu, c’est à la fois utile et savoureusement humain;
  • Inviter l’acheteuse d’une paire de chaussures de course à participer à un webinaire dédié à la course à pied, c’est humainement encourageant;
  • Envoyer une carte d’anniversaire physique à sa cliente, tout simplement pour marquer cette journée spéciale, sans rien exiger en retour, c’est charmant et délicieusement humain.

Mais envoyer un courriel marqué do-not-reply (!) au client qui vient tout juste d’acheter un pantalon en ligne pour le presser d’acheter deux paires de chaussettes en solde, ça ne l’est pas, humain. Tout comme faire poireauter les gens dans un système de téléphonie automatisé, imposer un nombre limité de caractères dans un formulaire en ligne ou infliger une période d’attente de 48 heures avant d’obtenir réponse à un simple courriel.

Si monsieur Claude avait osé agir ainsi une seule seconde, maman l’aurait tellement ramassé.

Une relation ne s’achète pas; elle se mérite

Probablement trop excités à l’idée de passer du modèle de média acheté (Paid) au modèle de média détenu (Owned), on semble avoir oublié d’intégrer à l’équation 1:1 l’humilité inhérente au modèle de média mérité (Earned). Pourtant, on le sait. Une relation, ça ne s’achète pas. Ça ne se détient pas. Ça se mérite. Puis ça s’entretient.

Si l’intelligence artificielle peut s’avérer un formidable accélérateur dans notre recherche de la personnalisation numérique optimale, l’écoute artificielle et la pertinence artificielle n’y ont tout simplement pas leur place. À nous d’extirper ces nuisibles irritants de l’équation 1:1.

À nous de les remplacer par la précieuse constante du boucher.

Un écosystème de marque qui ne tient pas compte du rôle central qu’y jouent les consommateurs n’est tout au plus qu’un « égosystème ». Et existe-t-il quelque chose de plus énervant qu’une personne – ou une marque – qui ne parle que d’elle?

Claude le boucher l’avait bien compris, lui. Un steak gagnera toujours à être épais; une marque, jamais.

Êtes-vous prêt pour un mouvement du marketing centré sur la personne?

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Créatif et stratège reconnu (plus de 130 prix internationaux), Normand aide marques et agences à intégrer avec succès le marketing numérique dans leur pratique depuis 20 ans. Fasciné par la capacité unique du publipostage nouveau à combiner numérique et physique, il s’est joint à Postes Canada en 2021.Lire d’autres textes de Normand Miron