Créativité ou prévisibilité : le dilemme d’un responsable-marketing

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Un animateur fait face à une salle de gestionnaires blasés sans doute inscrits à son atelier parce que la croissance personnelle, ça paraît bien dans un CV. Une fois que tout le monde est assis, café et muffin à la main, il commence sa présentation par une question classique : « Alors, comment pourrions-nous définir la créativité? »

En tant que fondateur d’une agence créative, ancien directeur de la création et coauteur d’un livre intitulé Everyone’s an Artist, je ne peux me résoudre à l’idée qu’il existe une définition unique de la créativité. Pour un directeur artistique débutant, ce peut être un moyen de susciter une réaction. Pour le chef du marketing d’une grande entreprise, elle concrétise sans doute un désir de bousculer les idées reçues. Pour un artiste qui a du mal à joindre les deux bouts, la créativité pourrait être une raison d’être. Internet regorge de conférences TED et de citations Instagram philosophiques sur le sujet, donc je ne ressens pas le besoin d’y ajouter ma définition.

Par contre, je peux vous dire ce que la créativité n’est pas : prévisible.

Pour le chef du marketing d’une grande entreprise, elle concrétise sans doute un désir de bousculer les idées reçues. Pour un artiste qui a du mal à joindre les deux bouts, la créativité pourrait être une raison d’être.

Ron Tite

Quand créativité rime avec incertitude

La créativité s’exprime par l’originalité. Elle défie toute logique… et inspire la réflexion par son caractère inattendu. Quant à la prévisibilité, elle passe par la logique, change la perspective et inspire un sentiment tout autre, celui d’être en terrain connu.

Admettons-le, la créativité et la prévisibilité sont comme l’eau et l’huile. Elles ne peuvent se fondre l’une dans l’autre. Le seul contexte où je les verrais côte à côte serait dans un retour de la sitcom The Odd Couple [Un drôle de couple, à la télé française].

Les clients approchent souvent leur agence de publicité avec des demandes du genre « Donnez-moi du jamais vu et n’oubliez pas d’inclure des indicateurs de rendement. » Malheureusement, ça ne fonctionne pas comme ça. Si un concept est si créatif que personne n’y a pensé avant, l’idée qu’on puisse prévoir son effet est insensée.

Mais je comprends.

Bien sûr que les marques doivent avoir une âme, sinon pourquoi s’y intéresser? Pourquoi en parler? Pourquoi les adopter? Il faut être original et sortir des sentiers battus pour capter l’attention des gens.

Mais pour gagner gros, il faut être prêt à risquer gros, et la plupart des entreprises ne sont pas chaudes à l’idée. Même si les PDG aiment bien prôner les vertus de l’échec dans leurs discours, la culture d’entreprise le digère très mal en réalité. Nous ne sommes pas encouragés à faire des erreurs ni payés pour échouer. Nous sommes payés pour faire des prévisions, puis les réaliser, voire les dépasser. 

La prévisibilité, une valeur sûre

J’ai récemment eu l’occasion de demander à Seth Godin, une sommité du marketing direct, pourquoi, selon lui, les responsables-marketing optaient si souvent pour des tactiques prévisibles axées sur les données et les résultats tangibles. Sa réponse : « Je crois que les gens sont plus effrayés que paresseux. »

Je suis du même avis. La prévisibilité est une valeur sûre. Sans prendre de risques, on n’a pas de surprises et sans surprises, on évite les échecs. Et c’est en évitant les échecs qu’on continue à payer nos factures.

Mais ce n’est pas tout.

Lisez l’article complet de Ron sur la créativité et la prévisibilité.

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Un risque calculé

Quand on voit un humoriste qu’on aime à l’œuvre, on est pliés en deux et on admire sa virtuosité. Mais ce qui rend un numéro de Chris Rock ou de Louis-José Houde si efficace, c’est la prévisibilité qui le structure, plutôt que sa créativité. Le spectacle ne dure peut-être qu’une heure, mais il est extrêmement bien rodé et chaque phrase, chaque pause et chaque expression est perfectionnée pour en maximiser l’effet. La créativité a beau être au cœur de l’œuvre, c’est le travail minutieux y ayant mené qui a permis de prévoir les éclats de rire.

La prévisibilité ne tue pas la créativité; elle la façonne.

Tous les artistes savent que les copies d’une œuvre paient le beurre sur le pain. Simplement, les copies qui se vendent le mieux proviennent d’originaux remarquables.

Mais comment faire preuve de créativité débridée et s’en servir pour atteindre un rendement élevé et prévisible? Comment faire travailler les deux sphères du cerveau en harmonie? Devez-vous offrir une formation sur Excel à vos créateurs? Devez-vous passer du jean au pantalon à plis?

Non. Vous créez une étincelle qui finira par fusionner tout cela.

Trouver l’équilibre

L’industrie automobile me servira d’exemple. J’ai grandi à Oshawa, mais ici, je pense aux belles années de General Motors à Flint, au Michigan.

Les constructeurs automobiles ont bien des choses à nous apprendre sur la créativité et la prévisibilité, deux concepts que doivent maîtriser les responsables-marketing.

  1. L’efficacité à l’état pur : la chaîne de montage

    La chaîne de montage permet à GM et compagnie de faire leur argent. C’est l’efficacité à l’état pur. Chaque membre de l’équipe a un rôle bien précis, qu’il remplit encore et encore selon la même méthode. Résultat : la qualité est toujours la même, les coûts sont limités et la marge est constante. Jour après jour, année après année.

    La chaîne de montage n’est pas très propice à la collaboration. Personne n’interrompt son travail pour lancer une idée visionnaire. Tout le monde fait ce qu’il a à faire, puis passe le produit au suivant et ainsi de suite, sans perdre une minute. Tout est réglé au quart de tour, étudié et planifié : le volume de production, les coûts, le rendement du capital investi et le contrôle de la qualité.

    En parallèle, des responsables-marketing et des publicitaires débattent de la couleur de la nappe dans l’arrière-plan d’une photo d’un bol de soupe et perdent un temps fou sur des détails qui n’influenceront peu ou pas leurs résultats.

    Si c’est le temps d’assembler, on assemble. Évitez de compliquer les choses simples et consacrez plus de temps, d’argent et d’énergie aux projets qui changeront vraiment la donne.

  2.  Cultiver la créativité : la voiture concept

    Quand les constructeurs automobiles veulent explorer de nouvelles avenues et rafraîchir leur style, ils créent une voiture concept. Celle-ci n’a rien à voir avec la chaîne de montage. Ils n’espèrent pas pouvoir la commercialiser un jour, ils inventent pour le plaisir d’inventer.

    Parfois, ils découvrent qu’ils peuvent intégrer une de leurs idées à leurs modèles habituels. Les voitures de base évoluent lentement mais sûrement, une nouvelle pièce expérimentale à la fois.

    La chaîne de montage, c’est votre formule gagnante qui vous permet d’atteindre vos objectifs, d’améliorer votre rendement et d’établir des normes. La voiture concept, c’est l’occasion de donner libre cours à l’imagination, de faire preuve d’audace, de créer pour créer.

    Vous dépensez l’argent généré par la chaîne de montage sur votre voiture concept.

    Bien des jeunes entreprises ne construisent que des voitures concepts et bien des entreprises établies ne sont que des chaînes de montage. Les meilleures sont celles qui savent conjuguer les deux. N’oubliez pas que ces notions sont un drôle de couple. Elles ne coexistent pas, elles s’alimentent l’une et l’autre.

    Bien des jeunes entreprises ne construisent que des voitures concepts et bien des entreprises établies ne sont que des chaînes de montage. Les meilleures sont celles qui savent conjuguer les deux.

    Ron Tite

    Ma métaphore automobile clarifie peut-être ces concepts, mais ils ne sont pas faciles à appliquer pour autant. Vous travaillez en marketing, donc vous connaissez les contradictions du métier. Vous êtes peut-être du genre qui carbure aux données et à leur analyse et cherche toujours plus de précision dans le taux d’engagement. Ou bien, vous êtes du type artiste qui souhaite susciter une réaction émotionnelle avec vos communications de marque. Pas facile d’enfiler les souliers de l’autre… Mais l’important, c’est d’avancer. Un pas à la fois.

Version abrégée de l’article de Ron Tite publié dans le magazine INSPIRACTIONS.


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Ron Tite, auteur à succès, conférencier et entrepreneur, est le fondateur de Church+State, l’animateur et le producteur exécutif du balado à succès The Coup, et l’éditeur du guide satirique This is That: Travel Guide to Canada. Son dernier livre est Think Do Say: How to seize attention and build trust in a busy, busy world.Lire d’autres textes de Ron Tite